NOVEMBRE 1944 DANS LA VALLÉE DU DOUBS
Pierre Pagney, dans son ouvrage L’incertitude climatique et la guerre, aux Éditions L’Harmattan, relate dans un chapitre dédié, les combats de la Première Armée française en Franche-Comté et en Alsace de novembre 1944 à février 1945.
Vous trouverez ci-dessous deux parties :
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Le contexte dans lequel s’insèrent ces combats dans l’ouvrage L’incertitude climatique et la guerre
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La narration de l’attaque de la Première Armée française en Franche-Comté et en Alsace ( novembre 1944 – février 1945 ) dans ce contexte
LE CONTEXTE DANS LEQUEL S’INSÈRENT LES COMBATS DE LA PREMIÈRE ARMÉE FRANÇAISE EN FRANCHE-COMTE ET EN ALSACE (NOVEMBRE 1944-FEVRIER 1945).
L’Incertitude climatique et la Guerre met les vicissitudes climatiques en face des impératifs de la guerre (Première et surtout, Seconde Guerre mondiales). Après avoir rappelé que l’une des caractéristiques du climat est sa variabilité, qu’il s’agisse de la variabilité incessante, d’une variabilité plus exceptionnelle (catastrophes climatiques) ou de celle qui, depuis la deuxième moitié du XXe siècle résulte du réchauffement de la planète, l’auteur entend illustrer son propos par des exemples. La deuxième partie propose d’analyser le cas de plusieurs théâtres d’opérations où la « fortune des armes » a à compter avec les conditions atmosphériques.
Dans certaines opérations, le commandement a connu un sort inexorable par des événements subis : le mauvais temps, pluie et neige au « Chemin des Dames » en Avril 1917 sous le commandement du Général Nivelle ; le désastre de Stalingrad où le Maréchal Paulus capitule, en février 1943, dans un froid extrême, face aux soviétiques .
Dans d’autres opérations, malgré d’énormes difficultés météorologiques et climatiques, le commandement contrôle la situation : débarquement de Normandie le 6 juin 1944, attaque de De Lattre de Tassigny, en Franche-Comté, le 14 novembre 1944. La différence qu’il y a entre ces deux interventions face aux Armées allemandes, est dans le fait que si Eisenhower, en Normandie doit s’adapter à des conditions contraires, c’est en toute connaissance de cause que De Lattre y engage son Armée.
La deuxième partie de l’ouvrage traite pour finir des combats du Pacifique tandis que la troisième s’intéresse aux événements polaires et au pourtour habité de la grande diagonale aride saharo-arabique, dans le contexte du réchauffement climatique.
Le chapitre consacré aux événements franc-comtois de fin 1944-début 1945 est donc l’illustration de la volonté d’un grand chef militaire, de combattre victorieusement, quelles que soient les conditions climatiques qu’il ait à prendre en compte dans son commandement.
L’ATTAQUE DE LA PREMIÈRE ARMÉE FRANÇAISE, LE 14 NOVEMBRE 1944 DANS LA VALLÉE DU DOUBS ET LES COMBATS D’ALSACE EN JANVIER – FÉVRIER 1945.
Le débarquement de Provence commence le 15 août 1944. C’est le 16 (J+1) que les américains du Général Patch et que l’Armée B, commandée par le Général De Lattre de Tassigny débarquent. Ainsi Commence l’opération Anvil-Dragoon. L’Armée B, après la libération de la Provence va progresser très rapidement dans la vallée du Rhône et de la Saône. Elle deviendra la 1re Armée à Besançon. Nombre de textes parlent de la Première Armée pour désigner les troupes de De Lattre depuis le débarquement. C’est donc le hasard de la guerre qui fait que la Première Armée française se trouve dans la vallée du Doubs, au sud de Montbéliard, au seuil du rude hiver franc-comtois 1944-1945.
Au milieu du mois de novembre, l’offensive est générale sur le front Ouest. Les américains et les anglais attaquent en Hollande et en Lorraine. Ils atteignent les Vosges du Nord et menacent la Ruhr. La 3e Armée US, commandée par le Général Patton, n’est plus qu’à une faible distance de la frontière allemande, dans les parages de Thionville. L’attaque que De Lattre déclenche le 14 novembre s’inscrit donc dans un contexte offensif de la part des alliés qui mobilisent ainsi environ trois millions d’hommes.
L’ambiance à la veille de l’offensive du 14 novembre.
A cette date, la France- Comté est dans le froid, la neige, la pluie et les inondations. Les sols sont gorgés d’eau. Un quotidien de la Chaux de Fonds, ville suisse proche de la frontière française, signale dans son édition du 14 novembre, que le Saut du Doubs, non loin de cette localité, est somptueux. C’est que les eaux sont abondantes et renforcent la cascade que fait la rivière à cet endroit. Ce qui incite les suisses à venir voir le spectacle. Or, ce spectacle est à la limite de la France, le Doubs servant de frontière. C’est aussi le moment où des réfugiés de la région de Montbéliard sont accueillis par les suisses du canton de Neuchâtel. Ils fuient la guerre et en particulier, les représailles que les allemands exercent à l’encontre d’une population où la résistance s’intensifie au moment où l’armée de De Lattre approche du pays de Montbéliard.
C’est aussi le moment historique où Winston Churchill parcourt le Jura septentrional en compagnie de Charles de Gaulle, afin de visiter les unités combattantes (article de L’Est Républicain du 30 août 2014, signé de Bernard Payot). Le cortège de ces personnalités passe par le camp du Valdahon puis s’arrête, le 13 novembre au soir, à Maiche, où a lieu un mini-sommet réunissant les grands responsables des événements franc-comtois. Le temps est glacial et neigeux, à l’image de ce que connaît le Haut-Doubs en phase pré-hivernale et hivernale (il avait été prévu d’aller faire un repérage sur le Lomont, mais les conditions météorologiques avaient été dissuasives).
Le 13 au soir, donc, après un tête à tête d’une heure et demie entre De Gaulle et Churchill suivi d’une rencontre avec les principaux commandants des forces, un repas est servi à l’Hôtel du Lion d’Or. Tout l’établissement avait été vidé de ses clients. Par souci de confidentialité et de sécurité, le service était assuré par des militaires. Une serveuse encore vivante en 2014 au moment où le journaliste de l’Est Républicain fait son enquête, se souvient d’avoir apporté à Churchill qui avait très froid… une bouillotte afin de lui réchauffer les pieds. On comprend que dans des conditions météorologiques aussi exécrables, le Premier britannique (et même l’entourage du Général De Lattre, dont le Général Béthouart), ait eu beaucoup de doutes sur la possibilité d’une attaque imminente. A la question de Winston Churchill à De Lattre vous n’allez tout de même pas attaquer par un temps pareil, le Commandant de la Première Armée française répond qu’il n’en est pas question. Et pourtant, peut-être à ce moment-là a-t-il déjà pris la décision de l’offensive, ou du moins, y pense-t-il.
C’est donc à ce moment qui, logiquement, devait obliger à surseoir, que De Lattre, renseigné sur l’état de faiblesse des allemands et aussi, animé par l’effet de surprise, prend la décision inverse. La mesure de cette décision peut être appréciée par un témoignage : le 13 novembre, le jour se lève sur un paysage nordique. Depuis des heures, la neige tombe sans arrêt et ses flocons serrés bouchent l’horizon à quelques mètres. Toute attaque est impossible au Nord comme au Sud. C’est au même moment que les américains déplorent un temps qui fait souffrir les hommes. C’est ainsi que le Général Bradley raconte dans ses mémoires qu’il a préféré se ravitailler en munitions plutôt qu’en souliers pour ses combattants et que ceux-ci en ont profondément souffert, ce qui réduisit considérablement le pouvoir de l’infanterie. La décision prise par De Lattre de Tassigny, d’attaquer le 14 novembre, ne peut pas être considérée comme liée à un imprévu météorologique ; elle ne peut donc pas être dominée par l’incertitude des conditions de départ. Comme on l’a déjà souligné, le ciel a annoncé la couleur ! Le mauvais temps n’est pas imposé aux combattants de la Première Armée comme elle le fut aux combattants du Chemin des Dames. De Lattre a intégré le mauvais temps dans sa décision. Et là est toute la singularité de l’événement. Il est en effet impossible que, outre le ressenti, l’Etat-Major n’ait pas été informé des conditions atmosphériques que révèle la carte du 14 novembre (fig. 8). On constate, en surface, la présence d’une très forte perturbation centrée sur la Mer du Nord mais occupant aussi largement la France. L’instabilité qu’elle implique est renforcée par la présence en altitude d’une puissante coulée d’air froid. Tout milite, à ce moment-là, en faveur du vent, de la pluie et de la neige.
FIGURE 8
14 NOVEMBRE 1944
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L’attaque et la suite des opérations dans la région de Montbéliard-Belfort et de Mulhouse.
L’attaque intéresse la vallée du Doubs en direction de Montbéliard et de Belfort. Elle intéresse aussi les reliefs du Jura septentrional, jusqu’à la frontière suisse. C’est ainsi que dans l’après-midi du 15 novembre, des combats se déroulent à proximité de la frontière, prés de Damrant. Des officiers suisses, en reconnaissance, se rapprochent jusqu’à une soixantaine de mètres de cette frontière et se trouvent dans le champ de balles perdues. Le Capitaine Julien Schaffner est touché, à mort, par une arme automatique.
Au moment de l’attaque, le front, au contact de l’ennemi, s’étire du sud des Vosges jusqu’à la Suisse, jalonné par Faucogney, Melisey, Lure, L’Isle sur le Doubs, Pont de Roide. On ne s’attardera pas sur la composition de la Première Armée, au moment où elle occupe cette position. On retiendra les deux corps qui en sont le fer de lance : le Premier Corps, sous le commandement du Général Béthouart et le deuxième, sous les ordres du Général De Monsabert. La Première Armée est alors renforcée par les FFI, dans le cadre de l’amalgame. Deux axes de progression sont dévolus aux unités de la vallée du Doubs et du Jura septentrional : un au nord de L’Isle sur le Doubs, donc dans l’axe de la vallée, l’autre entre Doubs et frontière suisse. C’est là où se situent les combats d’Ecot et où s’illustrent des résistants franc-comtois et la 9e DIC.
La situation de la Première Armée, au sud des Vosges et à l’entrée de la plaine d’Alsace est un moment fort, avant la course au Rhin. La percée, en direction de Montbéliard, Belfort et Mulhouse se situera entre le 14 et le 28 novembre. Le temps est alors, pour les combattants qui se sont exprimés, proprement « affreux ». Un sous-lieutenant, Pierre Dalby, qui appartient à la 4e Division Marocaine de montagne note, étant en position en Haute-Saône, qu’il doit faire tourner le moteur de tous les véhicules un quart d’heure toutes les heures et ceci, malgré l’antigel ! Pour l’historien Pierre Gounand, l’hiver 1944-1945 a été particulièrement sévère en Haute-Saône. Par ailleurs, le Doubs déborde ; le froid est intense sur le mont Lomont au point que la 9e DIC qui y combat devra se séparer de ses tirailleurs, incapables de lutter dans de telles conditions. C’est là où se situe le combat d’Ecot dont le Général De Lattre parlera lui-même en évoquant l’extraordinaire nuit d’Ecot. De valeureux combattants devront être évacués, leurs membres étant gelés. On peut alors se demander comment la troupe et son encadrement ont pu tenir. La réponse est donnée par un jeune chef de section, André Groslambert : nous n’étions pas préoccupés par la question de savoir si la stratégie de De Lattre était soumise ou non aux conditions climatiques… nous savions seulement qu’il nous incombait de faire avec… temps couvert, pluie, bourbier, neige. C’est cette force d’âme et cette force physique, privilège de la jeunesse, qui devaient permettre à De Lattre de tenir le pari de son offensive.
Non seulement le temps était rude mais aussi les combats en forêt et à travers champs, avec progression au milieu des mines qui faisaient beaucoup de dégâts. Ainsi est la bataille de Vermondans, telle que la raconte le sergent Moulinet (soulignons que les noms des acteurs sont cités. Il apparaît en effet que les combattants de la base méritent, eux aussi, de ne pas rester dans l’anonymat). Le sergent évoque la pluie fine et glaciale qui tombe sans arrêt, assortie d’une bise polaire et la résistance allemande qui décime son unité. Il sera lui-même très gravement blessé, au point de passer de longues années de rééducation à l’hôpital. Un autre combattant, d’origine FFI, Maurice Milberger, qui participe à la bataille d’Ecot, évoque le temps détestable et le fameux blanchiment, les tirailleurs sénégalais de la 9e DIC étant relevés et remplacés par des français dont il est.
Les combats qui se déroulent ainsi aboutissent, le 17 novembre, à la libération de Montbéliard. C’est dans cette ville libérée que De Lattre établira son PC en vue de déboucher sur l’Alsace. Il s’installera à l’hôtel de la Balance qui a gardé, intact, le souvenir de son passage. Belfort sera libérée le 20. Après de durs combats urbains entre le 21 et le 23, ce sera le tour de Mulhouse. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le Général Leclerc atteint Strasbourg et le Rhin (plus au Sud, De Lattre l’avait atteint le 19, à Rosenau). C’est aussi le moment où la Première DFL, commandée par le Général Brosset, attaque dans le sud des Vosges. C’est là où il mourra accidentellement le 20 novembre, du fait de la crue d’un petit cours d’eau vosgien, le Rahin, grossi par la crue. Il vaut de reprendre ici le témoignage d’un officier, témoin de ce drame : Diego Brosset avait bu le café avec ses tirailleurs et le kirsch avec les fermiers de Plancher-Bas, heureux de parler avec ce soldat de légende. Depuis son débarquement, les 15 et 16 août 1944 à Saint-Tropez, la 1re DFL et son chef, allaient de succès en succès. La progression dans la vallée du Rhône et de la Saône s’était faite au pas de charge. Après ces libations, le Général reprit la route. Il adorait conduire sa jeep lui-même et à toute vitesse. Il se trouvait alors au volant, l’acteur Jean-Pierre Aumont, son homme de liaison, à côté de lui et son chauffeur attitré, un antillais, à l’arrière. Ils devaient emprunter un pont enjambant le Rahin. Avant le pont, un fil téléphonique brisé par un obus, s’enroula autour de l’essieu arrière. Ce fut juste au moment où le Général donna un coup de volant pour éviter un trou de mine. La jeep se retourna sur le pont et ses occupants furent précipités dans la rivière. Jean-Pierre Aumont et le chauffeur furent repêchés quelques centaines de mètres plus loin. Le Général Brosset n’eut pas cette chance. Il fut enseveli à Villersexel au milieu des légionnaires, des sénégalais, la plupart, héros de Bir Hakeim.
On doit l’essentiel de ces témoignages, dont on a fait un large usage, à André Chatelot qui en a fait le regroupement dans l’un de ses « Cahiers d’Histoire », Cahier n° 3, « Libération du Nord de la Franche-Comté », 20 février 1977. Son apport est d’autant plus précieux qu’il a permis de faire revivre les événements à partir de ceux qui en avaient été les acteurs les plus humbles. Sans doute avons-nous là le meilleur indicateur de conditions météorologiques éprouvantes pour des hommes, en même temps que la meilleure information concernant la façon dont ils ont fait avec. C’est une autre forme de courage que celle qu’il a fallu à De Lattre de Tassigny, pour décider.
La percée en Alsace ; la poche de Colmar.
De la fin novembre 1944 au début de janvier 1945, le front est pratiquement stabilisé. La vallée du Doubs est libérée de même que les Vosges. La Première Armée a atteint le Rhin, mais le cœur de l’Alsace, avec Colmar, reste entre les mains de l’ennemi. C’est là où se situe la fameuse poche dont la résorption se fera entre le 20 janvier et le 2 février 1945. Viendra, après, la Garde au Rhin et le maintien de Strasbourg parmi les conquêtes alliées.
Les combats de la poche de Colmar impliquent, dans la grande rudesse hivernale, l’action conjuguée des deux Corps d’Armée (assortis d’unités non endivisionnées comme le Corps franc Pommiès) de la Première Armée : depuis les Vosges, le deuxième corps (sous De Monsabert), depuis la Franche-Comté, le premier Corps (sous Béthouart). On reprendra ici le récit qui a été consacré aux combats de Colmar dans Le Climat, la Bataille et la Guerre (Pierre Pagney , L’Harmattan , 2008 ).
Le froid, la neige qui règnent alors, ont fait l’objet d’une description, à propos des combats d’Alsace du début 1945, inscrite dans l’ouvrage que De Lattre de Tassigny a consacré à l’histoire de la Première Armée : « on ne peut imaginer plus affreux ; la plaine d’Alsace ressemble à une immense nécropole recouverte de neige, qui forme un drap de mort, d’où émergent des squelettes d’arbres. Il fait -20°C. Cet hiver vraiment sibérien est le meilleur allié de nos adversaires ». Saisissante description du chef suprême qui va demander, dans la poche de Colmar, de nouveaux efforts à ses combattants. Soulignons que nous ne sommes plus dans le cas de figure météorologique de l’attaque du 14 novembre 1944 (pluie et neige) mais dans un style sans doute plus rude (neige et glace). Ce qui va rendre très difficile la manœuvre des blindés. Si la Première Armée a l’avantage du nombre, elle n’a pas celui de la qualité des chars. Les chars allemands sont mieux blindés et ont des armes qui portent plus loin. En d’autres termes, les chars allemands sont mieux adaptés à un combat statique que les chars français. Ces derniers ont donc une plus grande obligation de manœuvre, sur sol gelé, que ceux de leurs adversaires. Malgré ce handicap, l’Armée française garde l’avantage, grâce à son artillerie et à son aviation.
C’est en janvier 1945 que se situe la seconde grande décision d’attaquer de de Lattre. Il a fallu à Monsabert lutter dans les Vosges pour déboucher sur l’Alsace. Là aussi, par un temps exécrable, les combattants se surpassent. Le Corps franc Pommiès, issu de la résistance du sud-ouest de la France, qui a rejoint la Première Armée en vertu de l’amalgame et combat avec les hommes de Monsabert, a pour mission de déboucher dans la vallée alsacienne de la Thur. Dans sa progression, il connaît des conditions météorologiques très éprouvantes : neige, vent glacial, visibilité presque nulle, à quoi s’ajoutent les pentes abruptes enneigées et glacées. Dans ses mémoires le chef du Corps franc écrit : le souvenir le plus émouvant de notre entrée en Alsace se place au Drumont. Nous nous étions battus par un temps épouvantable. Je me souviens d’un serveur de mitrailleuse, tombé trois fois, terrassé par le froid ; il refusait de se laisser évacuer. Les hommes étaient hirsutes, transformés en blocs de glace.
Les manœuvres convergentes de Monsabert et de Béthouart avaient pour mission de constituer une mâchoire enserrant les allemands dans Colmar (voir Fondation Maréchal De Lattre : Automne 1944, hiver 1945, Le Général De Lattre libère l’Alsace , 2005). Les difficultés sont immenses dans une ambiance de vent glacial et de sol gelé. Le 21 janvier, l’aggravation des intempéries bloque l’artillerie et les blindés de combattants du premier Corps. Les munitions et le ravitaillement n’arrivent pas. Les fantassins vivent un véritable martyr. Le temps éprouve tout autant les combattants du deuxième Corps qui connaît la neige, la glace et les mines, mines que la neige rend difficilement détectables. L’ennemi, qui est en défensive, a alors l’avantage d’être solidement retranché dans des blockhaus qui le préservent, entre autres, du vent glacial.
Il convient de s’arrêter ici sur un point important qui a fait que c’est dans la vallée du Doubs, que De Lattre a choisi de mener la bataille de rupture en direction de l’Alsace et du Rhin. D’après ce qui précède, on constate que l’axe principal de la manœuvre a été dubisien, donnant mission au Premier Corps, de mener l’action prioritaire. Or, cette situation n’était pas celle à laquelle De Lattre pensait initialement. C’est son génie manœuvrier qui a fait que le fait décisif ait été finalement le déclenchement de l’offensive au sud de Montbéliard. Il s’en est expliqué dans son ouvrage Histoire de la Première Armée – Rhin et Danube Plon, Paris 1949. Suivons-le dans sa description de la bataille des Vosges. Après une progression au pas de charge dans la vallée du Rhône et de la Saône, l’Armée De Lattre se trouve bloquée par l’allongement de sa logistique et des problèmes de ravitaillement en essence et en munitions (en fait l’Armée De Lattre s’étire des Alpes au Doubs). Nous sommes en septembre. Le 17 de ce mois, une instruction secrète donne ordre au premier Corps (Béthouart) de se tenir prêt à intervenir entre Doubs et frontière suisse et au deuxième Corps (De Monsabert) d’intervenir dans les Vosges. Le 28 septembre, le deuxième Corps crée un saillant qui va jusqu’à Plancher-les –Mines. Bien que les deux corps soient alors avancés, on pense, à ce moment-là que c’est le deuxième Corps qui peut (donc par les Vosges) apporter la décision. Ce qui revient à reporter l’effort principal de la droite (Béthouart) à la gauche (De Monsabert). Mais cette conception ne pourra pas être réalisée. Le Général Patch rend visite au Général De Lattre de Tassigny, le 30 septembre, à Besançon où le chef de l’Armée B/ 1re Armée a établi son Quartier-Général. L’officier américain qui participe à l’avancée anglo-américaine au nord de l’intervention française, comme il a été vu précédemment, parle des difficultés qu’il a de progresser vers Gérardmer, ce qui l’oblige à modifier son dispositif. Ce qui a des conséquences sur le positionnement du deuxième Corps qui se bat également dans les Vosges et se voit dans l’obligation de colmater son flanc Nord du fait des nouvelles décisions américaines. De Lattre de Tassigny se voit donc dans l’obligation de revoir l’action de toute son armée et, par conséquent le rapport des forces offensives de ses deux Corps. Il sent que la manœuvre d’arrivée sur l’Alsace à partir des Vosges va lui échapper puisque les américains continuent leur glissement vers le Nord, ce qui appelle inexorablement l’extension du front de son deuxième corps dans les Vosges. Il décide donc de tenir en haleine le Premier Corps, en vue d’intervenir dans la trouée de Belfort (prise de Montbéliard et de Belfort). Le deuxième Corps qui espère cependant toujours obtenir la décision (arrivée sur l’Alsace par les Vosges) demande à De Lattre des renforts… qu’il n’a pas. Le 17 octobre, De Lattre fait savoir au Général de Monsabert que l’opération Vosges n’ayant pas abouti, il a pris la décision de suspendre l’offensive des Vosges, de retirer au deuxième Corps une partie de ses moyens et de reporter l’offensive par le Sud, dans la vallée du Doubs et le Jura septentrional. Un travail d’Etat-Major est entrepris qui va préparer cette modification dans le choix de l’axe principal . Tout cela n’ôte en rien, la hardiesse de l’attaque du 14 novembre .
Ainsi donc, lorsque les deux Corps de la Première Armée se retrouvent dans l’encerclement de Colmar, c’est finalement, avant le triomphe du 2 février 1945, à Béthouart que revient prioritairement l’atteinte de cet objectif. Il faut dire que les combattants des Vosges gardent le prestige de s’être battus dans un enneigement et dans un froid qui en font, eux aussi, des vainqueurs à part entière.
A partir du 29 janvier, le Général de Lattre reçoit des renforts : le 21e corps d’Armée US du Général Milburn est mis sous les ordres du Général français. La journée du 2 février est décisive. Les troupes alliées resserrent leur étau autour de Colmar, puis le même jour, entrent dans la ville. La délivrance de Colmar marque le début de l’effondrement allemand en Alsace.
Ainsi s’achève l’évocation des combats de la Première Armée en Franche–Comté, dans la Haute-Alsace (Mulhouse), dans les Vosges et dans la région de Colmar. Nous nous sommes fixé de ne pas aller plus loin. Jusqu’au dernier moment, un temps hostile aura accompagné les événements. Subitement, le dégel intervient au moment de l’encerclement de Colmar. A partir des premier et deuxième jours de février 1945, la plaine d’Alsace se transforme en un vaste bourbier coupé de rivières en crue.
Les enseignements météorologiques des attaques de la Première Armée française dans la vallée du Doubs, le Jura septentrional, les Vosges et l’Alsace.
14 novembre 1944-2 février 1945 : deux mois et demi de victoires dans un contexte de temps éprouvant. Tel est le constat majeur que l’on peut tirer de l’audace du chef de la Première Armée et de la résistance physique et morale de ceux qui ont constitué cette armée. Certes, les Français n’étaient pas seuls à subir le temps du moment. Les Américains, les Anglais et les Allemands le subissaient aussi. On doit cependant convenir que l’attaque du 14 novembre 1944, sous la pluie, la neige, dans le froid et dans la crue des rivières, puis les combats dans les Vosges et l’Alsace représentent une action audacieuse et risquée. De sorte que les deux décisions de de Lattre, surtout la première, ont été prises contre ce que l’on pourrait appeler « le sens commun ». Peut-être est-ce cette singularité, cet inattendu, exercé il est vrai, face à un adversaire affaibli, qui permet, paradoxalement, d’expliquer la réussite.
On est alors dans un type de décision (avec les conséquences afférentes) très différent de celui que prirent Nivelle, Hitler et même Eisenhower. On doit remarquer également combien, dans tous ces cas et quelle qu’en ait été l’issue, les conditions météorologiques et climatiques ont pesé.
Pierre Pagney
Pierre Pagney est Agrégé de l’Université, Docteur d’État, Professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne, Fondateur du Centre de Recherches de Climatologie de l’Université de Bourgogne, Ancien président de la Commission Française de Climatologie du Comité National de Géographie, Ancien membre des instances consultatives de l’Enseignement supérieur, du CNRS et du jury de l’Agrégation de géographie, Ancien vice-président, option-Lettres, du jury de Saint-Cyr, Auteur de nombreux ouvrages de climatologie et de trois ouvrages militaires, Prix de climatologie de la Société de géographie, Lieutenant-Colonel diplômé d’État-Major, Membre associé des Hautes Études de Défense Nationale, Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Ordre National du Mérite, Commandeur des palmes académiques, Titulaire du titre de Reconnaissance de la Nation (conflit 1939 -1945).
Pour en savoir plus sur Pierre Pagney :
Pour en savoir plus sur les évènements et les hommes (non exhaustif) :
La 1re division française libre en Franche-Comté, par le général Saint Hillier
LA PREMIERE ARMEE FRANÇAISE Bataille des Vosges – Bataille pour Belfort – La course au Rhin Mulhouse
Les événements dans l’Est de la France de septembre 1944 à mai 1945
Un régiment de l’armée d’Afrique. En mémoire de mon père Raymond CALMEJANE
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L’incertitude climatique et la guerre par Pierre Pagney – ed. L’harmattan – cliquez sur l’image pour accéder à la couverture des Editions L’Harmattan.
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